Lettre à Roger Toussenot
Paris, 3 février 1949
Mon cher vieux,
Je passe le plus clair de mon temps en la compagnie des gens de la chanson. Inutile de m'étendre sur leur mentalité. [...]. 2 chansons ont été retenues, mais le plus dur reste à faire : trouver une vedette pour lancer ça et en faire un succès.
Voilà qui résume l'état d'esprit de Brassens à cette époque : il écrit des chansons qu'il destine à des interprètes qu'il n'a encore pas trouvés. Les deux "chansons retenues" ne sont pas précisées, mais on sait que 3 ans plus tard, quand enfin il trouvera chez Patachou une écoute attentive, il avait déjà en réserve bon nombre de titres. Pratiquement tous ceux qui composent les 3 premiers disques.
Il poursuit en dressant le tableau habituel de la vie à l'Impasse :
Nous avons absorbé le montant de ton mandat. Jeanne n'a plus rien à nous offrir et quelquefois elle en souffre affreusement. Moi je n'ai besoin de rien. Mais Jeanne a des besoins pour moi. Rien ne lui est plus douloureux que de ne pouvoir donner. J'aurais une maison tranquille, j'y serais seul, peu m'importerait la mauvaise humeur de mon ventre. Mais Jeanne est dans la misère à cause de mes dons poétiques. C'est très choquant.
Le portrait de l'Hôtesse, la Jeanne dont "la table est souvent mal servie", est déjà bien avancé.
Plus loin deux futures chansons se devinent :
J'ai découvert Il n'y a pas d'amour heureux d'Aragon. Excellente chose.
Et enfin, à propos d'Émile Miramont :
Corne d'Auroch meurt d'ennui. Il s'ennuierait dans les étoiles. Dernièrement, je lui ai envoyé ta phrase transposée (le fameux « Il n'est pas Protée* comme je l'avais cru tout d'abord »). J'ai écrit : « On a cru qu'il avait les grandes eaux de Versailles dans la tête : c'était celles du robinet ». Il semble content de cette trouvaille.
* Protée, dans la mythologie grecque, était un dieu doué du don de divination.
Février 1959.
Brassens débute l'année à Bobino, avec les mêmes nouveautés qu'à l'Olympia à l'automne 58. Ce sont les chansons du disque N°6 (voir Album V).
Le Pèlerin est très sélectif dans ses louanges : Le vieux Léon et À l'ombre du cœur de ma mie sont d'une inspiration qui touche au plus profond de l'âme. Mais l'ignominie et la bassesse de certaines autres (l'auteur se pince tellement le nez qu'il ne donne pas les titres) appellent à la révolte et à la condamnation sans réserves ! Pensez... Le pornographe, Le cocu... dans Le Pèlerin (qui n'a manifestement pas digéré Le mécréant du disque précédent) !!
ART, La Gazette de Lausanne, Le Parisien n'ont pas ces pudeurs. D'ailleurs les journalistes étaient dans la salle et n'ont pu que conforter leur idée déjà faite sur l'accueil réservé par le public aux chansons dites "gaillardes".
Tous sont unanimes pour saluer , en première partie, la performance de Simone Langlois. Mais elle ne semble pas avoir connu ensuite les succès que lui prédisaient ces critiques. Lauréate de quelques concours, pré-sélectionnée pour représenter la France au concours de l'Eurovision, sa discographie, assez peu fournie, s'arrête en 1965. Sa carrière s'est prolongée avec une incomparable longévité. Elle a fait ses adieux à la scène à l'automne 2018.
Il y a quelques années, Simone Langlois s'était laissée tenter par une aventure : ICI
Retour sur janvier :
C'est à l'occasion de rangements qu'est ressorti de l'oubli un documentaire qui aurait mérité d'être mentionné le mois dernier. Consacré à Brel, Ferré et Brassens, il s'intitule "L'ombre des géants". Il n'est pas trop tard, vous le trouverez ICI