Entretien avec Philippe Nemo, France Culture, 1978.
C'est avec Le mécréant que Brassens aborde pour la première fois le thème de la foi.
Comme si le titre ne suffisait pas, le sujet est clairement exposé dès le premier des 21 distiques :
Est-il en notre temps rien de plus odieux
De plus désespérant que de n'pas croire en Dieu ?
Immédiatement suivi du souhait :
J'voudrais avoir la foi d'mon charbonnier...
Qu'est-ce à dire ?
L'origine de l'expression "la foi du charbonnier" se trouverait, d'après un grammairien du XVII° siècle, dans un conte qui dit ceci :
« Le Diable un jour demanda à un malheureux charbonnier :
- Que crois-tu ?
Le pauvre homme répondit :
- Toujours je crois ce que l'Église croit.
Le diable insista :
- Mais à quoi l'Église croit-elle ?
L'homme répondit :
- Elle croit ce que je crois.
Le Diable eut beau insister, il n'en tira guère plus et se retira confus devant l'entêtement du charbonnier ».
Si même le Diable s'est trouvé pris devant une telle argumentation, il n'y a rien à ajouter !
Apparaît ensuite le voisin du dessus, un certain Blaise Pascal.
Que vient faire ici ce célèbre personnage ? Pascal (1623-1662), inventeur précoce d'une machine à calculer (qu'il nomma Pascaline), grand physicien (théorie de la pression atmosphèrique, par exemple), auteur de nombreux travaux mathématiques de première importance, s'est aussi beaucoup consacré à la réflexion philosophique et religieuse. Et c'est là qu'intervient le conseil amical. Pascal défend l'idée que ce n'est pas l'homme qui peut acquérir la foi, mais que c'est Dieu qui la lui donne. L'homme a seulement le pouvoir de demander cette grâce par une prière que Dieu exauce toujours. Autrement dit, il faut s'adresser à un "personnage" en lequel on ne croit pas (car on ne peut pas) pour obtenir de sa bonté qu'il nous permette de croire en lui.
Ce que Brassens traduit de façon beaucoup plus claire par : Faites semblant de croire et bientôt vous croirez.
Pascal, grand mathématicien donc, traversa une période de vie mondaine au cours de laquelle il fréquenta les salons et c'est en réponse à des interrogations de joueurs qu'il jeta les bases du calcul des probabilités. C'est dans le célèbre Pari de Pascal qu'il associe cette théorie à ses convictions religieuses.
Si je parie en l'existence de Dieu et que Dieu existe, je gagne la félicité éternelle tout en n'engageant qu'une existence finie. Si je parie en l'existence de Dieu et que Dieu n'existe pas, je n'ai perdu qu'une vie finie. Au total j'ai donc la possibilité de gagner une félicité infinie et ne risque de perdre qu'une réalité misérable. Inversement si je parie que Dieu n'existe pas et qu'il existe, je perds la félicité éternelle, c'est-à-dire mon salut. Si enfin je parie que Dieu n'existe pas et qu'effectivement il n'existe pas, je n'ai gagné qu'une réalité finie. Au total je risque donc de perdre beaucoup en cherchant à gagner bien peu.
Passons sur le fait, hors de propos ici, que le raisonnement mathématique est assez discutable (il a d'ailleurs donné lieu à une foule d'analyses contadictoires). Retenons seulement ce que cette autre forme du "conseil amical " inspira à Jacques Prévert (Paroles, 1946)
Plus loin se présente un autre personnage, contemporain celui-là. Un autre ! Les punaises de sacristie le prennent pour un autre... Même s'il n'est pas nommé (pas encore), les bigottes sont (presque) excusables d'avoir cru reconnaître le père Duval, qui était surnommé "le Brassens en soutane".
Aimé Duval, ordonné prètre en 1949, agrémentait ses sermons de chansons. Avec un succès tel que, dès 1953, il se consacre totalement à la chanson, s'accompagnant à la guitare. Une quarantaine de titres, une quinzaine de disques, plus de 3000 concerts dans une quarantaine de pays. Les chiffres sont éloquents.
Les deux hommes se sont rencontrés, devant les caméras de la télévision, interrogés par Robert Beauvais.
Plus tard, le père Duval reviendra, dans Les trompettes de la renommée. La vidéo confirme que ce catéchumène laisse bien dire "merde" à cet énergumène de Brassens. Mais la "bonne entente" n'est là que pour la chanson (ou pour la rime). En privé, Brassens confessait (il en parlait à son ami d'enfance l'abbé Barres) ne pas trop apprécier les chansons de la calotte chantante :
"Qu'est-ce qu'il a besoin de faire des chansons ?
Est-ce que, moi, je me mêle d'aller dire la messe ?".
Il est un autre ecclésiastique-chanteur qu'il convient de mentionner ici. Brassens ne l'a pas cité, mais Noël Colombier lui a consacré une chanson : Merci Brassens (Et Merci à Joseph Moalic pour l'enregistrement).
Entretien avec Max-Pol Fouchet - RTL, 13 octobre 1969