Monsieur Victor Laville est un homme discret. Pourtant il est sans doute aujourd'hui celui qui peut, le plus légitimement, parler de Brassens. Ils font connaissance au collège de Sète, en classe de 5°. Victor est l'un des premiers "lecteurs" des essais poétiques de Georges.
Un jour, ils sont surpris, pendant un cours de géographie, en pleine conversation. Le professeur, surnommé le Totu, ne plaisante pas :
- Eh bien Laville ! Ce que vous raconte Brassens a l'air plus intéressant que mon cours ! Que cachez-vous là ?
- ... un cahier, Monsieur...
- Je vois bien que c'est un cahier !
Puis, après l'avoir consulté :
- De la poésie ! Comme c'est charmant !
Et s'adressant à la classe :
- Messieurs, nous avons un poète parmi nous !
Eh bien, messieurs les poètes, vous viendrez dimanche en retenue travailler votre art !
Deux ans plus tard, Victor fait partie de la classe à qui Alphonse Bonnafé fait découvrir Rimbaud, Mallarmé, Baudelaire, Apollinaire et bien d'autres.
En 1940, Brassens s'installe à Paris, chez sa tante Antoinette, mais revient tous les étés à Sète où il retrouve ses copains.
Durant son séjour d'août 1942, il dédie quelques poèmes à ses amis, dont Paysage d'automne à Victor.
Paysage d’automne
C’est un paysage d’automne
Avec son ciel maussade et lourd,
Ses enfants vêtus de velours
Et ses cloches noires qui sonnent.
C’est un paysage d’automne
Avec ses bruyants vendangeurs,
Avec ses paysans songeurs
Et ses grands arbres qui frissonnent.
C’est un paysage d’automne
Avec ses filles de vingt ans,
Ses filles qui s’en vont chantant
Des chansonnettes monotones.
C’est un paysage d’automne
Et c’est un pauvre cœur d’amant
Qui craque lamentablement
Comme les pauvres feuilles jaunes.
Ce poème fait partie des 11 qui composent le recueil Les couleurs vagues, tous écrits au plus tard en 1940, et dont Brassens fera une "auto-édition", recopiant lui-même plusieurs exemplaires qu'il distribuera à ses amis.
Mars 1943. Tous les jeunes Français nés en 1920, 21 et 22 sont requis pour le STO. Georges est envoyé à Basdorf, près de Berlin, Victor à Amberg, en Bavière. Un an plus tard, tous deux rendront "définitive" une permission de deux semaines et se cacheront jusqu'à la libération.
A l'origine de l'audition chez Patachou
Début 1951, Victor et son épouse Raymonde (à qui sera dédiée plus tard La femme d'Hector) s'installent dans un petit appartement non loin de Montparnasse. Georges viendra, durant près d'un an, y passer l'après-midi du mercredi. C'est chez les Laville qu'il pouvait rencontrer Joha (la future Püpchen, qu'il surnommait alors blonde chenille), interdite de séjour impasse Florimont, car Jeanne était "jalouse au-delà de tout, et même pire".
Tous trois découvrent ce qui sera plus tard le répertoire de Georges (c'est là qu'il achèvera La mauvaise réputation), mais entendent aussi sa lassitude, ses doutes, ses déceptions. Voilà des années qu'il cherche en vain un éditeur, des interprètes. Et toutes les tentatives du fidèle chansonnier Jacques Grello pour l'introduire dans les cabarets parisiens se terminent par des échecs. Georges en a "marre de ces auditions foireuses", pendant lesquelles "ces cons, ils bouffent pendant que je chante". Un mercredi d'hiver, le découragement de Georges se manifeste par un définitif " Ça ne marchera jamais ! Je vous le dis ! C'est tous des cons ! ". C'est alors que Victor a l'idée qui va tout changer, l'idée qui va décider de la carrière de Brassens. Cette idée porte un nom : PATACHOU.
Victor est illustrateur maquettiste pour l'hebomadaire Paris-Match, qui a publié peu de temps auparavant un important article sur cette chanteuse, une des artistes les plus célèbres de l'époque, qui tient un cabaret sur la butte Montmartre. Un des collègues de Victor, Pierre Galante, est responsable de la rubrique des spectacles. C'est donc à lui que Victor fait appel dès le lendemain. Patachou, jointe au téléphone, a confiance en Pierre Galante, qui a été le secrétaire de Maurice Chevalier. Elle accepte donc de faire passer une audition à ce "copain qui chante des chansons formidables, très originales, et qui galère un peu". Et le 24 janvier 1952, Pierre Galante et Victor Laville conduisent chez Patachou un Georges Brassens persuadé d'aller, une fois encore, à l'échec. Jusque devant l'entrée il hésite " Mais à quoi ça sert d'être là ? Ça va être comme partout, c'est chaque fois la même histoire...". Il faut presque que Victor et Pierre se fâchent pour arracher un "Bon, oui, oui... on y va" sans conviction.
La suite est connue. Patachou, enthousiaste, accepte non seulement de mettre à son répertoire quelques chansons de Georges, mais surtout le persuade de chanter lui-même les autres. Et le lendemain c'est à Victor que Patachou affirme : "Votre copain, là, dans un an il sera aussi connu que moi..."
Si la carrière de Brassens doit beaucopu à Patachou, il serait injuste d'oublier le rôle essentiel joué par Victor dans cette histoire. Par la suite, il l'accompagnera discrètement et fidèlement dans ses spectacles, émissions de radio ou télévision et dans différentes étapes de sa vie privée ou publique.
C'est à lui qu'est confiée l'illustration de la pochette du quatrième disque 25 cm des chansons de Georges, sorti en mars 1956. Bien plus tard, ce dessin deviendra, avec son accord, le repère visuel des Brassensiades.
Victor et l'Amandier :
J'ai eu la chance de renconter Victor Laville, en compagnie de Pierre Onteniente (Gibraltar), lors du festival de Charavines 2007, début août. L'Amandier n'avait alors que quelques jours d'existence "légale", aucune réunion n'avait encore eu lieu entre les membres... dont j'ignorais alors qui ils seraient puisque je n'allais découvrir qu'au retour leurs courriers ou messages. De cette courte rencontre, Victor a surtout retenu la création d'une nouvelle association au service de l'œuvre de son ami, m'a prodigué de chaleureux encouragements et m'a assuré de son soutien.
Quelque temps plus tard, à la recherche d'un logo, je trouve dans une revue un dessin du visage de Georges que je ne connaissais pas, attribué à Victor. Je l'appelle aussitôt pour lui demander l'autorisation de l'utiliser. Après une description aussi détaillée que le permet le téléphone, sa conclusion tombe : "Ce dessin n'est pas de moi". Et il ajoute, comprenant la déception que mon silence exprime : "Je suis vraiment désolé, je ne peux rien pour vous...". Et je m'entends répondre, après un nouveau silence, et en hésitant quand-même un petit peu : "...si, peut-être, ... vous n'auriez pas envie d'en faire un autre ?". Peu de jours après, je reçois donc cette silhouette de Brassens, guitare à la main, le pied posé sur une chaise symbolisée par ses initiales qui est, depuis, la photo d'identité de l'Amandier.
En novembre de la même année, il reçoit chez lui, à Sète, Guy Vigouroux à qui il dédicace notre première affiche (composée avec le dessin de la pochette ci-dessus et celui qu'il vient de nous offrir plus de 50 ans après).
Sa venue aux Brassensiades est envisagée pour 2008, mais c'est en 2009 qu'elle se fera. Raymonde, son épouse, l'accompagnera. Il participera à la mémorable Rencontre souvenir, animée par Pierre Schuller, en compagnie de Josée Stroobants, Sophie Duvernoy, Oswald D'Andréa et du regretté Pierre Maguelon.
Lors de sa venue, il nous offrira quelques photographies de ses archives personnelles, ainsi qu'une série de dessins évoquant divers épisodes partagés avec Georges, qui enrichissent notre exposition.
C'est à cette occasion qu'il signera la grande tenture reproduisant le logo de l'Amandier.
Nous avons eu la chance de le retrouver plusieurs fois à Charavines, dont il était, avec Raymonde, un fidèle. Lors de l'édition de 2011, il nous a laissé un message à l'attention de l'Amandier.
Merci Monsieur notre président d'honneur (il va rire), merci Monsieur Laville, merci cher Victor.