Une annonce dans les programmes (1976). Voilà la seule trace visuelle disponible à ce jour de ce "Dernier des Camarguais", adaptation d'un roman de Yvan Audouard. Car peu nombreux aujourd'hui sont ceux qui associent ce téléfilm à la chanson que Brassens écrivit pour son générique. Chanson d'ailleurs très rarement interprétée : Le modeste. La lecture du roman renvoie souvent aux couplets de la chanson. Un exemple parmi d'autres (à imaginer avec l'accent) :
- Reconnais tout de même que l'accent parisien de ce Lyonnais, ça lui faisait du tort dans nos régions ... Il était tellement parisien, cet accent, qu'il n'avait pas l'air vrai. En plus de son accent bizarre, cet homme-là avait un nom impossible à prononcer. D'abord, c'était un nom à rallonge. Nous n'avons pas de préjugé, nous autres. Nous demeurons persuadés qu'on peut avoir un nom à rallonge et rester quand même quelqu'un de fréquentable. Seulement dans son nom à celui-là, des rallonges, il y en avait trop. Et rien que pour lui dire bonjour, tu avais trois fois le temps d'oublier pourquoi tu étais venu le voir.
Et pourtant :
- En Camargue, tous les gens intelligents te le diront, ce Monsieur Henri, c'était quelqu'un, que, s'il n'avait pas été déjà marié, tu aurais pu lui accorder la main de ta fille sans crainte de tirer un mauvais numéro... Monsieur Henri, c'est la crème !... Et celui qui n'est pas d'accord, c'est un âne !...Quand vous l'aviez vu une fois, vous le vouliez tout !... De sorte qu'en Camarge, Monsieur Henri, malgré son accent, son nom à rallonge, son grand air, n'avait que des amis. Il avait été adopté par tous,... Même par moi.
Oui, mais voilà :
- C'était uniquement une question de principe. Pour le reste, je n'avais absolument rien contre lui. Je dis même qu'il y a bien des Camarguais qui ne le valent pas. [...] La question, elle est claire. Que tu le veuilles ou non, Monsieur Henri n'était pas d'ici.
Et plus définitivement encore :
- Cet homme-là, il pouvait me demander ce qu'il voulait, mais puisqu'il n'était pas d'ici, il n'était pas d'ici...
Ce qui chez Brassens, passé maître dans l'art de la miniature, se résume en :
Et s'il te traite d'étranger,
Que tu sois de Naples, d'Angers
Ou d'ailleurs, remets pas la veste
Lui, quand il t'adopte, pardi!
Il veut pas que ce soit le dit
C'est un modeste.
Emission Music and Music, "Les enfants de Canetti", Antenne 2, 25 octobre 1977.
L'illustration musicale de ce téléfilm ne se résume pas à la chanson. On peut imaginer que le thème intervient à plusieurs reprises, avec des orchestrations et des tonalités différentes en fonction de l'ambiance. C'est du moins ce que laisse penser une bande de travail.
Revenons à Yvan Audouard, auteur du roman qu'il adapte lui même pour ce téléfilm dans lequel il joue son propre rôle. S'il est né à Saïgon, ses parents étaient originaires du midi et il passa son enfance à Nîmes et Arles. Il resta toute sa vie très attaché à la Camargue et à ses habitants. Ècrivain, scénariste, il est également chroniqueur au Canard enchaîné. Sa rencontre avec Brassens remonte à 1948, à l'impasse Florimont.
Fallet d'ailleurs, resta sans voix quand, en 1953, de retour des Trois Baudets où il avait découvert Brassens, il entendit son collègue lui répliquer " Ton Brassens, je le connais depuis cinq ans ! ".
En 1967, c'est encore Yvan Audouard qui publie dans le Canard un pseudo discours de réception de Brassens à l'Académie Française (voir Brassens & l'Académie Française Acte II).
En juillet 1977, c'est lui qui est à l'initiative du dernier concert de Brassens. Depuis des années il le priait en vain de venir chanter dans sa commune de Fontvieille. Cette année-là, il obtint un "Tu m'emmerdes" qui voulait dire oui.
C'est enfin tout naturellement lui qui prit la plume du Canard pour le numéro du premier mercredi de novembre 1981.
Archives Pascal Michel