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Les copains d'abord
Quant aux paroles, nous y voici... Force est d'admettre que la chanson contient une telle quantité de références ou d'allusions qu'elle ne peut accrocher l'auditeur à la première écoute que par la musique. Ce qu'on peut regretter c'est que nombre d'entre eux s'en contentent... définitivement. Donc tour d'horizon :
Le radeau de la Méduse
Si le tableau de Géricault est connu, même par qui n'a jamais visité le Louvre, l'histoire, réelle, qu'il évoque l'est sans doute moins. Mais autant, en effet, faire savoir jusqu'au fond des ports que le bateau dont il va être question n'est en rien comparable à ce radeau dont la situation dramatique ne pouvait pas engendrer la franche camaraderie. Un récit complet est ICI.
Fluctuat nec mergitur
Expression latine dont la traduction la plus précise, et la plus adaptée à la ville de Paris dont elle est la devise est :
" Il est ballotté par les flots et n'est pas englouti ”
Viennent alors les strophes où Brassens s'efforce de montrer que les copains en question sont des hommes comme tout le monde. Ce ne sont pas des amis de luxe. Pas non plus des célébrités de l'Olympe comme Castor et Pollux, connus aussi sous le nom de Dioscures
(fils de Zeus). Vrais jumeaux selon une légende, ils ne le sont plus dans une autre, selon les variantes habituelles aux méandres de la mythologie. (Pour en savoir plus : ICI (à venir)). Inséparables (tels les "copains" donc), ils sont aussi protecteurs des marins. Les copains à bord n'étaient pas de leur condition divine, certes, mais le choix des Dioscures n'est tout de même pas innocent, et ils ne renieraient pas leur parrainage !
Des gens de Sodome et Gomorrhe... Cette fois voici la Bible. La Genèse, pour être précis. Aux chapitres 18 & 19, il est écrit que Dieu décide de détruire ces deux villes, situées au sud de la mer Morte (dans l'actuelle Jordanie) pour punir leurs habitants de leurs conduites estimées condamnables. Suivant les interprétations il s'agit soit de pratiques homosexuelles, soit du non respect des lois de l'hospitalité, qui étaient sacrées dans l'antiquité. Les auteurs des premiers textes fondateurs du christianisme ont, évidemment, privilégié la première hypothèse et pendant des siècles l'homosexualité a été considérée comme un crime (et l'est encore dans diverses régions du monde). Que vient faire cette référence dans la chanson, entre deux exemples forts d'amitié, les deux villes ne semblant pas présenter de liens particuliers entre elles ? Serait-ce un écho du penchant pervers des hommes qui prennent Cupidon à l'envers (Le mécréant), du crime pédérastique (Les trompettes de la renommée) ? Une manière de dire que, non, les copains du bateau " n'en sont pas " ? Propos inenvisageables aujourd'hui mais, même en les replaçant dans le contexte des années 60 où le sujet faisait, au mieux, l'objet de plaisanteries douteuses, on peut considérer, pour paraphraser Brassens lui-même (parlant des paroles de La Marseillaise) qu'ils sont pour le moins discutables sur le plan du bon goût !
Au moindre coup de Trafalgar... Après l'Histoire et
Bataille célèbre donc, et qui porte son lot de légendes et d'idées fausses. Elles sont recensées, et corrigées, ICI.
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Les quat'z'arts
Les carabins, élèves de l'école de médecine voisine, étaient souvent invités à la fête. De leur côté, ils organisaient le bal de l'Internat, destiné à marquer la fin de cette période de leurs études. Et c'est là que nous retrouvons la chanson car il s'agissait " d'enterrer la vie d'Interne ". L'étudiant arrivant au terme de ses études était placé dans un cercueil et promené dans l'hôpital, voire dans le quartier. Tous ses collègues l'entouraient et le défilé se faisait aux accents des chansons de salle de garde qu'accompagnait une fanfare. Brassens a donc mélangé les deux festivités pour la circonstance.
N'oublions pas qu'il a avoué son goût pour le " patrimoine historique des carabins " dès le premier couplet de Mélanie (Album XII), ce qu'il confirma peu après (Entretien avec Philippe Némo, France Culture, 19 décembre 1978).
Et dans les couplets 2, 3 et 4 quelques grands tubes du répertoire y passent :
Dans un amphithéâtre (Ah c'qu'on s'emmerde ici), Le Pou & l"Araignée (Saint Eloi), De Profundis Morpionibus et Les filles de Camaret (le curé).
Parmi les éléments du décor, la boîte à dominos désigne bien entendu le cercueil (argot des truands ou des carabins), et le poële était un drap funéraire qui recouvrait le cercueil ; des proches du défunt tenaient durant la marche funèbre des cordons attachés à ce drap.
A la fin, Brassens se " range des corbillards " comme un truand se " range des voitures " en s'achetant une conduite...
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Le petit joueur de flûteau
Aucune précision à apporter concernant les personnages ou les lieux, la seule mention " tous les saints de Notre-Dame " étant assez explicite.
A signaler une strophe non enregistrée :
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La tondue
Remarque : le " contexte " de cette chanson qui, comme Les deux oncles, a fait couler beaucoup d'encre, n'est pas abordé ici. Pour ces deux titres, un chapitre de la rubrique "A propos de..." est en préparation.
Dès le premier vers apparaît le roi de Prusse. Comme souvent, Brassens utilise une expression populaire qu'il détourne pour l'adapter à son propos. Il s'agit ici, bien sûr, de " Travailler pour le roi de Prusse ".
Cette expression remonte au XVIIIème siècle. Mais plusieurs hypothèses sont avancées concernant son origine. Elle pourrait tout simplement être une allusion moqueuse à l'avarice de Frédéric-Guillaume Ier, qui régna sur la Prusse de 1713 à 1740. Ce despote violent et grossier, qui n'avait que mépris pour toute forme d'art, avait la réputation de très mal rétribuer ceux qu'il employait, ouvriers du bâtiment ou mercenaires qu'il enrôlait pour compléter son armée. Tous, donc, travaillaient pour un faible salaire, d'où le sens courant de l'expression.
Deux autres possibilités mettent en scène son fils, Frédéric II, qui lui succéda.
En 1748, le traité d'Aix-La-Chapelle met fin à la guerre de succession d'Autriche, qui durait depuis 8 ans. La France, pourtant forte de quelques succès militaires, n'exige rien. Au contraire, elle restitue à l'Autriche les territoires conquis aux Pays-Bas, ainsi que la Savoie. Au grand étonnement des négociateurs, le comte de Saint-Séverin qui représente la France, exprime ainsi la pensée de Louis XV : «Sa Majesté très-chrétienne a le souci de faire la paix non en marchand mais en roi». En revanche, il ne parvient pas à empêcher l'annexion de la Silésie (région s'étendant principalement sur l'actuelle Pologne, avec une partie en République Tchèque et une autre en Allemagne) par la Prusse de Frédéric II, sans la moindre justification.
Frédéric II apparait donc comme le grand gagnant de ce traité de paix, ce qui fait dire à la population que la diplomatie française a " travaillé pour le roi de Prusse " !
Cette paix se révèle instable et quelques années après éclate la guerre de 7 ans. Entre temps se sont opérés quelques " retournements d'alliances ", les alliés d'hier étant les ennemis d'aujourd'hui. Les armées françaises ne brillent pas particulièrement lors de ce conflit, essuyant de nombreuses défaites. La plus marquante est probablement celle de Rossbach, au cours de laquelle Frédéric II, à la tête de 22 000 hommes, se montra beaucoup plus habile stratège que le comte de Soubise qui en commandait 54 000. Cette victoire contribua grandement au prestige de Frédéric II (il lui doit son surnom de " Le grand ") mais valut de nombreuses moqueries au comte de Soubise, et à Mme de Pompadour, qui avait usé de son influence pour mettre à la tête de l'armée ce piètre militaire.
Ainsi naquirent plusieurs chansons ironiques, dont l'une dressait une série de portraits satiriques se terminant tous par :
Ah ! qu’il a bien travaillé
Qu’il a bien travaillé pour le roi (bis)
De Prusse.
Mais cela restait raillerie. On trouvera en complément ICI deux textes beaucoup plus sévères.
Faut-il rappeler que les sans-culottes ne se promenaient pas dévêtus ? Tout simplement, ils ne portaient pas la culotte, légèrement bouffante et s'arrêtant aux genoux, que prolongeaient des bas, tenue réservée à l'aristocratie.
Quant au bonnet phrygien, élément essentiel de la tenue des Sans-Culottes, il trouve son origine, comme son nom l'indique, en Phrygie, région de l'actuelle Turquie, à l'ouest de la Cappadoce. Attis, l'une des divinités de ce peuple, le porte sur les statues. Le prince Troyen Pâris, qui déclencha la guerre de Troie, est souvent représenté coiffé de ce bonnet rappelant ses origines. Les esclaves grecs puis romains affranchis le portaient, comme symbole de liberté. Il apparait également à ce titre durant la guerre d'indépendance des Etats Unis et figure sur le drapeau de l'état de New-York. En France, il est resté le symbole de la République dont il coiffe la figure allégorique Marianne.
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Jusqu'au dernier vers Brassens veut nous persuader qu'il s'en fout...
Que le brave Prévert...
Prévert, quant à lui, est nommé et c'est à sa " Chanson des escargots qui vont à l'enterrement " que Brassens fait explicitement référence. Publiée dans Paroles en 1946, elle avait été très rapidement mise en musique par Joseph Kosma et enregistrée dès 1949 par les Frères Jacques sous le titre " Deux escargots s'en vont à l'enterrement ".
Prévert et Brassens s'étaient rencontrés au tout début de la carrière de celui-ci, sans doute par l'intermédiaire d'André Vers, écrivain et grand copain de René Fallet. En témoignent une carte envoyée... depuis la grotte de Lourdes (2 septembre 1955),
(Source : copie d'écran du site de la maison Drouot où cette carte a été mise en vente en juin 2010. Estimée entre 500 et 700€, elle a trouvé acquéreur à plus de 2000€).
et une photo prise un peu plus tard (recherches en cours auprès, entre autres, du Musée Prévert d'Omonville, dans la Manche).
Le complexe d'Icare...
On pourrait se contenter de dire : Icare, volant avec des ailes faites de plumes collées à la cire, s'approcha trop du soleil, dont la chaleur fit fondre la cire, ce qui provoqua sa chute. Mais ce serait se priver d'une grande page de mythologie. Elle est à découvrir ICI
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(même remarque préliminaire que pour La tondue)
"L'un aimait les Tommies l'autre aimait les Teutons".
De qui s'agit-il ?
Les Teutons étaient tout simplement un peuple de la Germanie du nord, près de la Baltique, dont l'existence est avérée dès le IVème siècle avant JC. Au début du premier siècle, ils quittent leur région d'origine. Les causes de cette migration ne sont pas formellement établies. Elle pourrait être due à un durcissement des conditions climatiques, voire un raz-de-marée, ou à la menace d'invasions. Ils tentent de gagner les terres de l'actuelle Italie, entraînant derrière eux plusieurs autres peuples, pillant et dévastant au passage la Gaule. Ils sont arrêtés dans leur avancée par l'armée romaine de Marius, lors de la bataille d'Aquae Sextiae (102 av JC) près de l'actuelle Aix en Provence. Mais leur passage a considérablement affaibli la Gaule qui tombera peu après sous l'autorité romaine.
L'histoire des Tommies est plus singulière. Tommies est le nom générique donné aux soldats britanniques. Ce nom est le pluriel du prénom Tommy, diminutif de Thomas. Voici pourquoi :
En 1815, un officier du ministère des armées souhaite établir un formulaire modèle, destiné à servir d'exemple aux futurs engagés. Il sollicite alors le duc de Wellington, héros de Waterloo, pour qu'il lui propose un nom. En 1794, Wellington avait tenu son premier commandement lors de la bataille de Boxtel, dans les Flandres. Lors de cette bataille sanglante, il croisa un soldat gravement blessé après un combat au corps-à-corps. Ses dernières paroles au général furent "Tout va bien, Sir. Journée de travail bien remplie". Et il mourut. Se souvenant de cet épisode, Wellington proposa d'honorer ainsi la mémoire de ce brave soldat. Il s'appelait Thomas Astings. Ainsi était né le surnom des militaires britanniques.
" Que l'on a requinqué dans le ciel de Verdun les étoiles ternies du Maréchal Pétain "
Pour rester conforme à la remarque préliminaire, contentons-nous de quelques faits (antérieurs, bien sûr, à l'écriture de la chanson) :
- la tombe de Pétain (à l'Ile d'Yeu) a été fleurie au nom de la présidence de la République (et parfois par le président lui-même) à l'occasion de quelques anniversaires. Une association pour la défense de sa mémoire a lancé une pétition réclamant son transfert à Douaumont (haut lieu de la bataille de Verdun). L'idée était, en fait, de tenter de faire oublier le maréchal de 1940 pour ne retenir que le général de 1916.
Alors oui, en ce sens les étoiles ont été un peu requinquées.
Mais elles restent encore bien ternes car :
- toutes les demandes de révision du procès ont été rejetées, ainsi que toutes les demandes de transfert des cendres à Douaumont.
Mais aujourd'hui encore le sujet fait débat, voire polémique. Et s'il existe des études très documentées d'historiens, on trouve aussi des provocations de quelques "révisionnistes" en quête de reconnaissance médiatique.
Un document présenté ICI propose une sorte de résumé.
" Maintenant que John Bull nous boude "
John Bull est un personnage symbolique du Royaume Uni ou plus exactement de l'Angleterre. Il apparaît pour la première fois en 1712 dans " La loi est un puits sans fond " de John Arbuthnot. Au XVIIIème siècle il devient très populaire et s'établit comme l'anglais typique, une sorte de personnification de la nation, comparable à l'Oncle Sam aux Etats-Unis ou à Marianne en France. C'est surtout à partir de son utilisation par des dessinateurs qu'il devient célèbre.
Voir d'autres caricatures ICI.
"...L'Arc de triomphe en moins des soldats inconnus. "
L'Arc de triomphe nous ramène à Napoléon. Il en décide la construction en 1806, en l'honneur des victoires de " sa " grande armée. Il ne le verra pas achevé ! En 1810, lors de la présentation aux parisiens de sa seconde épouse Marie-Thérèse d'Autriche, il doit se contenter d'une maquette, en vraie grandeur certes, mais provisoire. La construction est interrompue à la chute de l'Empire. Elle ne reprendra qu'en 1824 sous le règne de Louis XVIII. En 1830, Philippe-Auguste étend l'idée initiale de Napoléon à toutes les armées ayant combattu depuis 1792. Le monument est inauguré le 29 juillet 1836. Il est un lieu hautement symbolique depuis la présence de la tombe du soldat inconnu.
C'est à Verdun que ce soldat, destiné à commémorer le souvenir de tous les combattants de la guerre de 14-18, a été tiré au sort parmi les victimes non identifiées. Avant d'arriver place de l'Etoile, son cercueil a été veillé dans un bâtiment du XIVème arrondissement, ce qui nous rapproche de Brassens (voir Brassens & Paris).
C'est un historien de cet arrondissement qui raconte ICI l'histoire du soldat inconnu.
Un autre confirme ces informations et apporte quelques compléments.
Antenne 2, 2014
" Malbrough qui va-t-en guerre au pays des enfants".
Nouvelle référence à une chanson ancienne, mais qui n'est pas à ranger parmi les comptines enfantines. Les paroles sont sans doute dues à des soldats. Le cadre en est la bataille de Malplaquet (11 septembre 1709), durant la guerre de succession d'Espagne, qui opposa l'armée de Louis XIV, commandée par le maréchal de Vilas, à une coalition dirigée par le général John Churchill, premier duc de Marlborouh (et ancêtre de Sir Winston). Ce fut une bataille sans véritable vainqueur... Certes, ce sont les troupes françaises qui battirent en retraite, et le prestige de la victoire revint à Marlborouh (Malbrouh par déformation), mais leurs adversaires avaient subi tant de pertes humaines qu'ils renoncèrent à envahir la France. Vilas écrivit même à Louis XIV " Si Dieu nous fait la grâce de perdre encore une pareille bataille, Votre Majesté peut compter que ses ennemis sont détruits ".
Malbrouh n'est pas mort durant cette bataille (le duc mourra dans son lit en 1722), mais les français l'ont cru et ont créé les paroles par dérision. Ils ont en fait adapté à la circonstance une chanson beaucoup plus ancienne. En remontant le temps, on trouve une ode chantée à l'occasion de la mort du duc de Guise (1563) qui contient par exemple la strophe :
Strophe qui est devenue :
Mais il faut remonter aux croisades, plus précisément au siège de Saint-Jean-d'Acre (1190) pour trouver l'origine la plus probable : elle met en scène Galéran, compte de Meulan, qui fut tué par un chef musulman lors d'un combat singulier. Sa jeune femme qui l'attendait dans la tour de Meulan ne vit venir qu'un page tout de noir vêtu, qui lui fit le récit. Ajoutons que ses compagnons avaient donné à Galéran un mot ancien synonyme de courage : Manbrou.
La mélodie de cette chanson, sans doute l'œuvre d'un trouvère, avait survécu avec le temps. Monge, géomètre qui accompagna Bonaparte lors de la campagne d'Egypte, raconte que c'est la seule musique qui avait fait réagir la population locale lors d'un concert. Une autre légende prétend que Napoléon la chantait chaque fois qu'il montait à cheval, et l'aurait fredonnée sur son lit de mort.
Sa célébrité en France nous ramène à la bataille de Malplaquet. Elle s'était répandue dans toute la région, c'est à dire en Flandres. Plus tard, c'est une nourrice flamande (Madame Poitrine) qui la chanta pour bercer le Dauphin de Louis XVI. Marie-Antoinette la reprit au clavecin et toute la Cour se mit à la chanter. Beaumarchais utilise la musique pour la romance de Chérubin dans le Mariage de Figaro (1784). Les paroles sont différentes, bien entendu, le " Mironton, mironton, mirontaine " (censé évoquer les roulements des tambours militaires) étant remplacé par " Que mon cœur, que mon cœur a de peine ". Beethoven s'en sert pour symboliser l'armée française dans " La bataille de Vitoria " (1813), composée pour célébrer une victoire de Wellington (oui, encore lui).
(1853, œuvre destinée à dénoncer le coup d'état de Louis-Napoléon Bonaparte) par un poème satirique, Le Sacre, sous-titré ... sur l'air de Malbrouk... La métrique est rigoureusement celle de la chanson et le refrain (mironton...) devient " Paris tremble, ô douleur, ô misère ! ".
Fernando Sor, compositeur espagnol, compose sur ce thème des variations pour guitare (1888).
Malbrouh est donc ce qu'on appelle un " timbre ". Un thème mélodique qui a traversé les âges, servant de support à diverses paroles. Comme il fallait s'y attendre, il en existe une version paillarde titrée "Là-haut sur la montagne".
Terminons avec la citation orchestrale de Beethoven, précédée d'une marche.
Orchestre Symphonique de Londres, Antal Dorati
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Voilà sans doute un mot qui, depuis la sortie du disque (1965) aura fait ouvrir de nombreux dictionnaires ! "Callipyge" signifie tout simplement (et étymologiquement) "qui a de belles fesses". Vénus callipyge est le nom que portent les statues montrant Vénus soulevant son voile et regardant (admirant ?) par dessus son épaule la partie inférieure de son dos. Mais cette appellation est imparfaite car l'origine de ces sculptures se trouve en Grèce. Il conviendrait donc de dire "Aphrodite callipyge", (mais convenons que cela " sonne " moins bien pour le titre d'une chanson). Athénée de Naucratis, érudit grec des IIème et IIIème siècles, auteur d'une compilation d'anecdotes d'écrivains antiques, rapporte une légende qui inspira La Fontaine. Cela se passait dans les environs de Syracuse.
Venons-en à la chanson. Initialement Brassens avait des intentions assez différentes de ce que donne le texte final.
Archives RTL
Il choisira finalement le style courtois, ne tombant jamais dans le piège de la grivoiserie, "frôlant parfois la préciosité", comme il le dit lui-même dans plusieurs entretiens, le tout en alexandrins.
Le manuscrit dont nous disposons est identique à la version enregistrée, à l'exception d'une strophe à laquelle Brassens a renoncé.
Il est vrai que la présence de callipyge et hottentote dans une même phrase risquait de semer en route nombre d'auditeurs. Du coup aucun des deux composants du titre n'est chanté.
Remarquons la construction symétrique qui fait reprendre en coda le quatrain d'introduction (procédé utilisé par exemple dans Oncle Archibald) qui seul contient le mot " cul ", et encore dans un sens qui n'a rien d'anatomique, surtout destiné à rappeler à tous ces " faux-culs [qui] sont la majorité " que l'auteur est lucide.
Admirons un instant la somptueuse périphrase :
" Votre dos perd son nom avec si bonne grâce
qu'on ne peut s'empêcher de lui donner raison "
Elle introduit la rime avec " blason " et la référence aux poètes courtois de la renaissance (voir à ce sujet Révérence parler ), complétée plus loin par l'emploi d'expressions anciennes (entour, dame d'atour).
Pour illustrer sa description, Brassens utilise des références cocasses, voire truculentes.
Et d'abord Fanny. Ceux qui n'ont jamais pratiqué la pétanque peuvent ignorer cette coutume, à laquelle sont soumis les joueurs d'une équipe ayant perdu une partie sans marquer le moindre point. Ils doivent " Embrasser Fanny " !
Revenons au sujet. Brassens, qui s'interdit de les pincer, suggère d'autres façons de traiter les fesses :
Entretien avec Max-Pol Fouchet, RTL, 13 octobre 1969
A genoux donc. Car c'est la posture que les boulistes humiliés par ce lamentable 13-0 qu'ils viennent de subir doivent prendre pour embrasser Fanny... sur les fesses.
Cette tradition aurait deux origines qui se complètent, et contiennent probablement une part de légende.
Dès 1870, une jeune lyonnaise de 20 ans, nommée Fanny, venait régulièrement admirer les joueurs de pétanque du " Clos Jouve ", dans le quartier de Croix-Rousse. Pour consoler les perdants ayant subi la déroute du zéro points, elle les entrainait à l'écart et soulevait ses jupes. Il n'était alors pas question du baiser.
Peu avant la guerre de 14-18, une serveuse d'un café de Savoie, une autre Fanny, permettait aux vaincus sans point de l'embrasser ... sur la joue. Jusqu'au jour où le maire de la commune fit partie des perdants. Voulu-t-elle se moquer d'un édile, voire l'humilier publiquement ? Toujours est-il qu'elle monta sur une chaise, tourna le dos au maire, retroussa ses jupes et lui tendit son postérieur. Le maire ne se démonta pas et fit claquer un baiser sur chaque fesse.
La tradition était née.
Bien entendu, les joueurs n'ont pas toujours une spectatrice consentante à leur disposition. Aussi chaque club digne de ce nom se doit-il de posséder une Fanny postiche, mannequin ou tableau, qui ne sort de son armoire qu'en cas de besoin. (tous les magasins spécialisés ont un catalogue).
Apparait ensuite le duc de Bordeaux. C'est une nouvelle référence à une chanson du patrimoine.
A l'origine, il s'agit d'une chanson à caractère politique : en 1871, la France connait une situation difficile, entre la défaite militaire et la chute du second empire, la perte des territoires d'Alsace et Lorraine, la Commune de Paris, les débuts de la IIIème République (dont la majorité des députés est monarchiste). Henri d'Artois, duc de Bordeaux, comte de Chambord, petit-fils de Charles X, est né en 1820. Fils posthume du duc de Berry, assassiné sept mois plus tôt par un bonapartiste, il est qualifié par Lamartine d' " Enfant du miracle ". Il est depuis 1844 prétendant légitimiste à la couronne de France, sous le nom de Henri V. En 1871, la restauration de la monarchie est donc à l'ordre du jour (elle n'aboutira pas). Les détracteurs orléanistes du duc de Bordeaux utilisent alors le moyen de communication le plus efficace car le plus populaire : la chanson. Ce fut une satire qui connut un rapide succès. Seul le premier couplet concerne le duc de Bordeaux, les autres ayant été ajoutés au fil du temps. Elle fait encore partie du répertoire des chansons paillardes. Voici les deux premiers couplets, les suivants sont tels que rigoureusement ma mère m'a défendu de les recopier ici (pour les amateurs, il y a des sites spécialisés...).
Chorale de l'Université Libre de Bruxelles
Les 4 barbus en ont chanté une version privée de toute allusion grivoise, permettant une diffusion radiophonique, dans une adaptation signée Francis Blanche.
La strophe de Brassens, allusion habile, s'adresse aux connaisseurs !
Que s'est-il donc passé à la cour d'Angleterre ?
Il semblerait que la révérence imposée par le protocole de la cour de Londres était assez périlleuse et que les chutes maladroites étaient assez fréquentes. Notre Vénus serait donc bien excusable. Son patatras ne serait pas imputable à ses formes, comme le disent les jaloux dont il ne faut, en effet, faire aucun cas. Donc laissons-les dire.
Il reste que, parmi les tournures anciennes présentes ici, figure le mot "anglois". Serait-ce pour la rime avec "la loi"? Quelle loi ? Celle de la pesanteur, due à Newton, citoyen anglois.
Pure hypothèse...
En voici une autre : et si l'histoire d'une révérence devant un couple royal lui avait été inspirée par Patachou ?
Elle, en tout cas, a vécu la situation :
Oui direz-vous, mais c'est la Cour de Suède ?
Certes, mais :
Dans cet article, ce sont des souvenirs que Patachou évoque. Le concert de Londres n'eut pas lieu, annulé au dernier moment en raison du déclenchement de la crise du canal de Suez, ce qui permet de dater l'événement : 1956. Et si elle avait raconté l'anecdote à Georges ?
Reste Naples. Brassens fait bien sûr allusion à "Voir Naples et mourir" (Vedi Napoli e puoi muori).
Alexandre Dumas père, qui fut directeur du musée archéologique de la ville et du site de Pompéi, écrit " Voir Naples et mourir, dit le Napolitain, Qui n’a pas vu Séville n’a rien vu, dit l’Andalou, Rester à la porte d’Avignon, c’est rester à la porte du paradis, dit le Provençal. "(nous ne sommes pas loin de La ballade des gens qui sont nés quelque-part...). Stendhal estimait qu'il fallait avoir visité Naples au moins une fois dans sa vie avant de mourir. Goethe utilisa lui aussi l'expression.
Son origine est beaucoup plus ancienne et ... beaucoup moins romantique : elle serait un jeu de mots, une plaisanterie, " muori " étant une déformation de Mori, nom d'une île près du port, ou encore de Morire, petite ville au pied du Vésuve.
Pour la petite histoire, le titre fut censuré à la radio, avant même la sortie du disque.
Voilà qui donnerait envie de conclure en avouant qu'" on en reste sur le cul " !
Mais gardons plutôt pour terminer cette splendide requête :
" Et surtout, par faveur, ne vous asseyez pas ! "
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Tout est dit dans le titre. Brassens va évoquer cette attitude qui consiste à " suivre le mouvement ", mais il ne le dévoilera qu'à la fin de l'avant-dernière strophe " elle veut être à la page, c'est la mode et elle est snob ". L'expression, non détournée ici, provient d'un épisode du Quart Livre (chapitre VIII) de Rabelais. Panurge accompagne Pantagruel dans son périple à la recherche de l'oracle de la Dive Bouteille. A l'occasion d'une rencontre en mer, une altercation éclate entre Panurge et Dindenault, un marchand de moutons, qui se moque de sa tenue. Une fois les esprits calmés, Panurge décide d'acheter un mouton au marchand. La transaction est longue car Dindenault dresse le catalogue des propriétés merveilleuses de ses bêtes, qui sont de la race du bélier de la toison d'or. Il ne saurait les céder qu'à bon prix. Panurge se décide pourtant et François Rabelais (ou plus exactement Alcofribas Nasier, anagramme lui servant de nom de plume) poursuit :
« Panurge, sans aultre chose dire jette en pleine mer son mouton criant et bellant. Tous les autres moutons crians et bellant en pareille intonation commencerent soy jecter et sulter en mer à la file. La foulle estoit à qui premier y saulteroit après leur compagnon. ».
Dindenault et des bergers qui tentaient de retenir les animaux furent entrainés par eux à la mer. Panurge tenait sa vengeance.
Avec « elle se rit bien des gondoles » qui se métamorphose en « on ne verra plus qu'elle en gondole », le cadre est clairement indiqué : Venise.
Le Pont des soupirs ne pouvait échapper à l'image. Au cliché devrait-on dire. Car si les gondoles qui passent sous le pont peuvent inviter à une attitude langoureuse, ceux qui passaient par ce pont en étaient bien éloignés. Construit au début du XVIIème siècle, il reliait le Palais des Doges, son tribunal et ses salles d'interrogatoires (et donc souvent de tortures) à la prison et ses cachots humides en sous-sol, ou surchauffés sous les toits recouverts de plaques de plomb. Sur chaque façade, deux fenêtres " grillagées " en pierre laissent entrer une faible lumière dans cet étroit passage, totalement fermé pour que les prisonniers ne puissent être ni vus ni entendus par la population et ne tentent pas de s'évader en se jetant dans le canal. Il est constitué de deux couloirs, un pour chaque sens, de sorte que les condamnés s'y croisaient sans se voir et sans pouvoir se parler. Ce sont les soupirs de ceux dont l'avenir se dessinait dans cette prison qu'évoque son nom. Nous sommes loin des langueurs amoureuses...
D'où vient cette confusion ? Sans doute en partie des élans lyriques de quelques poètes romantiques pour qui Venise n'était qu'enchantements. Ainsi Lord Byron, dans " Le pèlerinage du chevalier Harold " (1812-1818) écrivait-il :
« J'étais à Venise, sur le Pont des Soupirs,
Un palais d'un côté et une prison de l'autre ;
J'en voyais les monuments s'élever du sein des vagues,
Comme par la baguette d'un enchanteur. »
Peut-être aussi d'un roman de Michel Zévaco (1901) dont les deux parties s'intitulent Le Pont des Soupirs puis Les Amants de Venise. Ce dernier titre ayant d'ailleurs inspiré une opérette à Vincent Scotto, très longtemps à l'affiche dans les années 50.
Funeste erreur donc. Ayons une pensée pour les malheureux qui ont soupiré sur leur liberté perdue et dont les soupirs étaient parfois les derniers.
Une petite remarque :
Le dernier couplet dit :
" Mais alors pourquoi cède-t-elle, sans cœur, sans lucre, sans plaisir ? "
Les strophes 2 & 3 pourraient (devraient ?) être inversées pour respecter l'ordre.
D'ailleurs, " N'allez pas croire davantage... " devrait venir après " Croyez pas... ".
Pour puristes ? Peut-être. Mais Laurent Michel, du groupe Banc Public, avait adopté cette proposition lors des Brassensiades 2012. A noter que ce groupe associe, fort judicieusement, Le mouton de Panurge et Chansonnette à celle qui reste pucelle (voir chansons posthumes)
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Pour les paroles françaises, c'est ICI.
Il porte un joli nom, il est morne, taciturne, morose et pour tout dire s'ennuie un peu, bien que présidant aux choses du temps. De plus il est fort inquiétant ! Voilà bien des caractéristiques, dans ce portrait qu'en dresse Brassens, et autant de questions... auxquelles il est difficile de répondre avec certitude, tant la mythologie offre de sources diverses.
... de l'été de la Saint-Martin
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